L'accouchement en public, ou plutôt la question de l'accouchement sous secret et ses implications légales et sociales, est un sujet complexe et sensible en France. Cette pratique, encadrée par une législation spécifique, soulève des questions éthiques et juridiques importantes, notamment en ce qui concerne le droit à la vie privée de la mère et le droit de l'enfant à connaître ses origines.
L'Évolution de la Législation Française sur la Protection de la Maternité
Au début du 20e siècle, la France a commencé à légiférer sur la protection des femmes enceintes et des nouveau-nés. En 1906, Fernand Engerand, député du Calvados, a proposé une loi visant à protéger les femmes avant et après l’accouchement. Cette loi, votée après trois ans, stipulait que la suspension du travail d’une femme pendant huit semaines consécutives avant et après l’accouchement ne pouvait être une cause de rupture de contrat par l’employeur, sous peine de dommages-intérêts. La femme devait informer son employeur de son absence.
Cette première loi a été suivie par une autre proposition de loi de Paul Strauss, sénateur connu pour son action contre la mortalité infantile. Adoptée en 1913, cette loi accordait aux femmes enceintes le droit à un congé assorti d’une indemnité. Le congé prénatal était facultatif, tandis que le congé postnatal de quatre semaines était obligatoire pour les femmes travaillant à l’extérieur de leur domicile contre un salaire. L'argumentation de Strauss s'appuyait sur les travaux scientifiques des médecins puériculteurs et sur une rhétorique concernant les risques encourus par le pays en raison de la baisse de la population française face à la puissance allemande.
L'Accouchement Sous le Secret : Une Pratique Encadrée
La France est l’un des rares pays à disposer d’une législation encadrant l’accouchement sous le secret, également appelé "accouchement sous X". Cette pratique permet à une femme de mettre au monde un enfant sans laisser d’informations sur son identité. Considérée comme une garantie contre l’accouchement clandestin, l’abandon sauvage et l’infanticide, elle concerne un nombre marginal de naissances.
Concrètement, une femme enceinte qui ne souhaite pas élever son enfant peut accoucher anonymement dans un établissement hospitalier. Aucune pièce d’identité ne peut lui être demandée, et les frais médicaux sont pris en charge. Après la naissance, l’enfant est confié aux services départementaux de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Pendant deux mois, il est placé en pouponnière ou dans une famille d’accueil, période pendant laquelle les parents peuvent revenir sur leur décision. À l’issue de cette période, l’enfant devient pupille de l’État et peut être adopté.
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Selon le dernier rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), le nombre de naissances sous le secret était de 625 en 2014, soit moins d’une naissance pour mille. Les raisons qui poussent les femmes à accoucher sous X sont multiples : familiales, personnelles, économiques. Selon le Planning familial, il s’agit souvent de grossesses impossibles où le secret le plus absolu doit être maintenu, parfois en raison d’un risque de mort pour les femmes concernées.
Origines Historiques de l'Accouchement Sous le Secret
Le premier cadre législatif organisant cette pratique remonte à la Révolution française. La Convention adopte un décret-loi le 28 juin 1793 pour organiser le recueil des filles mères et des nourrissons. Il dispose que « la fille enceinte pourra se retirer secrètement pour faire ses couches, elle pourra y entrer à telle époque de sa grossesse qu’elle voudra. Il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine [d’accouchement] de la mère, et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement rétablie de ses couches : le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne ».
Plusieurs textes et décrets précisent au cours du XIXe siècle le traitement réservé aux enfants abandonnés. Les tours d’abandon, souvent situés dans des hospices, sont progressivement remplacés par un système de bureaux, qui accueillent, à toute heure et dans le respect de l’anonymat, les mères et les nouveau-nés. Le secret de l’abandon est introduit dans la loi du 27 juin 1904, qui rassemble les dispositions prises tout au long du siècle précédent, et précise que, « dans tous les cas où la loi ou des règlements exigent la production de l’acte de naissance, il pourra y être suppléé si le préfet estime qu’il y a lieu d’observer le secret, par un certificat d’origine, dressé par l’inspecteur et visé par le préfet ».
Un décret-loi du 2 septembre 1941 sur la protection de la naissance pris par le maréchal Pétain entérine l’accouchement sous le secret tel qu’il existe encore aujourd’hui. En 1993, l’accouchement sous X fait son entrée dans le code civil. L’article 326 dit : « Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. » La rupture du lien de filiation est légalisée. Puis, en 1996, la loi Mattei prévoit que les éléments non identifiants entourant la naissance (lieu, date et heure) soient recueillis et conservés. Un accompagnement psychologique et social des mères est prévu, ainsi que la possibilité pour elles de renoncer à l’anonymat à tout moment si elles le souhaitent.
La Loi du 22 Janvier 2002 et le Conseil National Pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP)
Sous la pression des enfants nés sous X, la loi du 22 janvier 2002, portée par Ségolène Royal, redéfinit les contours de l’accouchement sous le secret. Elle maintient la possibilité d’accoucher anonymement mais crée le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), dont l’objectif est de faciliter l’accès aux origines de l’enfant.
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Depuis l’entrée en vigueur du texte, les mères dites de naissance reçoivent théoriquement à la maternité la visite d’un correspondant du Cnaop, qui leur enjoint de laisser des informations sur leur santé, les origines ethniques de l’enfant, les circonstances de sa naissance et les motifs de son abandon. Elles sont également informées de la possibilité de laisser leur identité sous pli fermé. De son côté, à sa majorité, l’enfant a désormais la possibilité de demander au Cnaop d’entreprendre des recherches pour retrouver sa mère de naissance. Si les recherches aboutissent, cette dernière conserve cependant en dernier ressort le droit de refuser tout contact et de conserver l’anonymat. Depuis sa création, le Cnaop a reçu 7 900 demandes d’enfants à la recherche de l’identité de leur mère.
La loi du 10 janvier 2002, définitivement adoptée par les députés, vise à concilier l’intérêt des adultes à la recherche de leur origine, celui des femmes enceintes qui souhaitent taire leur maternité, et celui des enfants, qui ont le droit de naître vivant dans les meilleures conditions et d’avoir, si possible, une enfance heureuse. Elle ne contraint pas la mère de naissance à communiquer son identité, même de manière confidentielle. La femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité est invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Ce pli sera conservé par le service de l’Aide sociale à l’enfance du département (ASE) et ne sera ouvert que par un membre du CNAOP si cet organisme est saisi d’une demande d’accès à la connaissance de ses origines par l’enfant devenu adulte ou, si il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même avec l’accord de ceux-ci. Dans ce cas, la mère sera recherchée et contactée par le CNAOP qui lui demandera de confirmer ou non son désir de secret. D’autre part, la mère de naissance est informée qu’à tout moment, elle peut lever le secret de son identité qu’elle ait accouché sous X ou confié son identité sous pli fermé, mais qu’elle n’aura pas la possibilité légale de rechercher son enfant.
Le CNAOP est donc chargé d’appliquer la loi et est composé de 17 membres désignés par un arrêté du 22 août 2002. Certains sont institutionnels, d’autres sont des personnalités qualifiées en raison de leur expérience médicale, paramédicale ou sociale. Le conseil est assisté d’un secrétariat général dirigé par un magistrat. Sa compétence est nationale et articulée avec celle des départements.
Le travail du CNAOP est délicat car il doit recevoir les demandes des adultes cherchant leurs mères d’origine, rechercher celles-ci, savoir les contacter sans provoquer de drames, recueillir leur consentement ou leur refus, le transmettre à ceux qui sont en attente depuis souvent de très nombreuses années, accompagner les retrouvailles. Il peut décevoir les adultes en quête de leur origine, par exemple, s'il ne peut pas communiquer l’identité de la mère si le dossier est vide, s’il est impossible de la retrouver ou s’il ne peut pas la joindre pour s’assurer de sa volonté. Il ne peut également que refuser de communiquer l’identité de la mère si elle ne consent pas à lever le secret, ce qui sera toujours très mal ressenti par l’adulte. D’autre part, la découverte d’une mère peut ne pas correspondre à l’image idéalisée que l’enfant a pu s’en faire. Il peut aussi profondément perturber les mères de naissance, qui peuvent ressentir une angoisse face à ce retour brutal de leur passé, ce qui peut déclencher des catastrophes familiales.
Un Débat Toujours Clivant
La loi de 2002, subtil compromis entre les tenants de l’anonymat et les militants des origines, n’a pas clos le débat. Des parlementaires ont souhaité faire évoluer la loi vers un accouchement discret, mais leurs tentatives sont restées vaines jusqu’à présent. Les associations qui plaident pour le maintien de l’accouchement sous le secret considèrent que la législation française actuelle protège à la fois les enfants et les femmes. Elles mettent en avant le droit des femmes à ne pas vouloir ou pouvoir, à un moment donné de leur vie, devenir mère, et estiment que la possibilité d’accoucher secrètement permet de réduire les risques pour la santé des femmes et des enfants.
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La législation relative à la filiation a évolué avec la loi du 16 janvier 2009. Depuis cette date, rappelle le Conseil constitutionnel, « si l’enfant découvre l’identité de sa mère, la législation civile ne fait plus de l’accouchement sous X un obstacle à l’engagement d’une action aux fins d’établissement de la filiation maternelle ».
La Cour européenne des Droits de l’Homme a donné acte à la France de sa tentative de conciliation entre les intérêts des femmes, des enfants et des adultes à la recherche de leur origine, lors d’une audience publique le 9 octobre 2002, à la suite d’une plainte introduite contre la France par une jeune femme abandonnée, Madame Pascale Odièvre. Elle a jugé que « la législation française tente d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre ces intérêts ». Vingt ans après l’affaire Odièvre, cet arrêt est important parce qu’il donne à la Cour européenne des droits de l'homme l’occasion de préciser où se situe, selon elle, dans un conflit direct entre la mère et l’enfant, le point d’équilibre entre le droit pour la mère de préserver le secret de son identité, et le droit pour l’enfant de connaître ses origines. La Cour ne remet pas en cause la possibilité pour les États concernés de prévoir la faculté pour les femmes d’accoucher dans l’anonymat, mais elle juge nécessaire qu’ils organisent, en présence d’un tel système d’anonymat, une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, et de demander des informations non identifiantes sur ses origines.
L'Affaire X c. France (2023)
Dans une affaire récente, la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie par une requérante née sous X qui se voyait refuser l'accès à l'identité de sa mère biologique, cette dernière ayant exprimé sa volonté de préserver l'anonymat. La Cour a réaffirmé les principes énoncés dans l'arrêt Odièvre, soulignant que la législation française ménage un équilibre entre le droit de la mère à la vie privée et le droit de l'enfant à connaître ses origines. Elle a également mis en avant le rôle du CNAOP dans la recherche d'informations non identifiantes et dans la facilitation du dialogue entre les parties.
La Cour a estimé que le refus opposé à la demande de la requérante constituait une ingérence dans sa vie privée, mais que cette ingérence était proportionnée au but légitime de protéger les droits de la mère biologique. Elle a souligné que les juridictions françaises avaient validé le système mis en place par la loi du 22 janvier 2002, qui prévoit une réversibilité du secret. Elle a également relevé que le CNAOP avait recueilli des informations non identifiantes qu'il avait transmises à la requérante et qu'il avait effectué des démarches auprès de sa mère biologique.
En définitive, la Cour a conclu qu'il n'y avait pas violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette décision confirme la position de la Cour selon laquelle la France a mis en place un système juridique qui respecte les droits fondamentaux de toutes les parties concernées par l'accouchement sous X.
Évolution Récente et Perspectives d'Avenir
Le nombre d’accouchements dans le secret n’a cessé de diminuer depuis 2011. Depuis 2002, le CNAOP a enregistré 12 766 dossiers et 12 118 ont été clôturés. Le CNAOP a pu communiquer l’identité des parents de naissance pour 3 831 demandes. Les déclarations d’identité spontanées restent peu nombreuses et dans 1367 cas le CNAOP s’est heurté à un refus de lever le secret.
Le législateur français est intervenu de façon ponctuelle pour assouplir voire forcer parfois le cadre du secret. La loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 a supprimé, à l’article 325 du code civil, la fin de non-recevoir opposable à l’action en recherche de maternité en cas d’accouchement sous X. Plus récemment, la loi n° 2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a apporté une modification ponctuelle au régime mis en place par la loi du 22 janvier 2002, en donnant compétence au CNAOP pour organiser un dispositif spécifique lorsqu’est diagnostiquée, chez une personne née dans le secret ou chez une mère qui a accouché dans le secret, une anomalie des caractéristiques génétiques.
La situation paraît loin d’être stabilisée, dans un contexte social extrêmement volatil où le droit à la connaissance de ses origines ne cesse de monter en puissance. Dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, la loi no 2021-1017 du 2 août 2021 a apporté un changement important en reconnaissant expressément aux enfants nés d’une AMP avec donneur, le droit d’accéder à compter de leur majorité aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur. Désormais, les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou d’embryon doivent consentir préalablement à la communication de données qui les concernent et de leur identité. À défaut, le don n’est pas possible.
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